25/02/2025

BrandSilver

Brand Box

Le nommage des maladies, entre science, histoire, médecine et enjeux de société

Le nom d’une mala­die n’est jamais anodin.

Derrière une appel­la­tion tech­nique ou popu­laire se cachent des siècles d’histoire médi­cale, des enjeux de san­té publique et des consé­quences socié­tales par­fois lourdes. Alors que l’OMS encadre désor­mais ce pro­ces­sus, retour sur les méca­nismes et les défis du nom­mage des mala­dies, un sujet au car­re­four de la science, de la méde­cine, de la culture et de la com­mu­ni­ca­tion san­té.

L’héritage historique : des termes populaires au risque de confusions

Historiquement, les noms de mala­dies émer­geaient de des­crip­tions symp­to­ma­tiques ou de lieux d’émergence. Par exemple, la rubéole (du latin rubel­lus, « rou­geâtre ») doit son nom à ses érup­tions cuta­nées, tan­dis que la rou­geole (de l’anglais measles) a long­temps été confon­due avec d’autres affec­tions comme la scar­la­tine. Au XIXᵉ siècle, des termes comme fièvre alle­mande ou grippe espa­gnole ont mar­qué les esprits, asso­ciant des régions à des épi­dé­mies – une pra­tique désor­mais controversée.

Ces déno­mi­na­tions, sou­vent arbi­traires, ont conduit à des confu­sions noso­lo­giques. La rubéole elle-même fut suc­ces­si­ve­ment appe­lée Rötheln, roséole ou German measles avant d’être offi­ciel­le­ment recon­nue comme une enti­té cli­nique dis­tincte en 1881. Cet héri­tage illustre la com­plexi­té de nom­mer des patho­lo­gies en évolution.

Un impact sociétal fort, entre stigmatisation et perception erronées de la maladie

Le choix d’un nom influence la per­cep­tion publique. Une étude de l’Université Vanderbilt (2023) révèle que des termes tech­niques comme COVID-19 – bien que neutres – peuvent sus­ci­ter de l’incompréhension, contrai­re­ment à syn­drome res­pi­ra­toire aigu grave (SARS), plus expli­cite. À l’inverse, des appel­la­tions alar­mistes (peste, fatal) exa­cerbent les peurs irrationnelles.

Depuis 2015, l’OMS recom­mande d’éviter les réfé­rences géo­gra­phiques, cultu­relles ou ani­males (ex : grippe por­cine) pour évi­ter la stig­ma­ti­sa­tion et les retom­bées éco­no­miques néga­tives. L’exemple du MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome) montre com­ment un nom géo­gra­phique a ali­men­té des ten­sions régio­nales et frei­né le tou­risme. De même, le virus Sin Nombre, ini­tia­le­ment sur­nom­mé Navajo Flu, a pro­vo­qué un rejet des com­mu­nau­tés amé­rin­diennes concernées.

Les consé­quences sont tangibles :

  • Stigmatisation des com­mu­nau­tés : hausse de 149 % des crimes anti-asia­tiques durant la COVID-19.
  • Pertes éco­no­miques : abat­tage mas­sif de volailles lors de la grippe aviaire.
  • Entraves à la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, comme lors de l’épidémie d’Ebola, nom­mée d’après une rivière congolaise.

 

Ces der­nières années, plu­sieurs nou­velles mala­dies infec­tieuses humaines sont appa­rues. L’utilisation de noms tels que “grippe por­cine” et “syn­drome res­pi­ra­toire du Moyen-Orient” a eu des effets néga­tifs invo­lon­taires en stig­ma­ti­sant cer­taines com­mu­nau­tés ou cer­tains sec­teurs éco­no­miques”, déclare le Dr Keiji Fukuda, sous-direc­teur géné­ral de l’OMS char­gé de la sécu­ri­té sani­taire. “Cette ques­tion peut sem­bler ano­dine pour cer­tains, mais les noms des mala­dies ont vrai­ment de l’im­por­tance pour les per­sonnes direc­te­ment tou­chées. Nous avons vu cer­tains noms de mala­dies pro­vo­quer une réac­tion bru­tale à l’en­contre de membres de cer­taines com­mu­nau­tés reli­gieuses ou eth­niques, créer des obs­tacles injus­ti­fiés aux voyages, au com­merce et aux échanges, et déclen­cher l’a­bat­tage inutile d’a­ni­maux des­ti­nés à l’a­li­men­ta­tion. Cela peut avoir de graves consé­quences sur la vie et les moyens de sub­sis­tance des gens”.

Les mala­dies reçoivent sou­vent des noms com­muns de la part de per­sonnes exté­rieures à la com­mu­nau­té scien­ti­fique. Une fois que les noms de mala­dies sont deve­nus d’u­sage cou­rant grâce à l’in­ter­net et aux médias sociaux, il est dif­fi­cile de les chan­ger, même si le nom uti­li­sé n’est pas appro­prié. C’est pour­quoi il est impor­tant que la pre­mière per­sonne à faire état d’une mala­die humaine nou­vel­le­ment iden­ti­fiée uti­lise un nom appro­prié, scien­ti­fi­que­ment valable et socia­le­ment acceptable.

Critères de l’OMS pour nommer une maladie : entre neutralité et précision

L’OMS appelle aujourd’­hui les scien­ti­fiques, les auto­ri­tés natio­nales et les médias à suivre les meilleures pra­tiques pour nom­mer les nou­velles mala­dies infec­tieuses humaines afin de mini­mi­ser les effets néga­tifs inutiles sur les nations, les éco­no­mies et les populations.

La nomi­na­tion d’une mala­die par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) répond à des règles strictes, éta­blies en 2015 pour évi­ter stig­ma­ti­sa­tion, confu­sion ou retom­bées éco­no­miques néga­tives. Ces direc­tives visent à conci­lier rigueur scien­ti­fique et sen­si­bi­li­té sociétale.

Éviter les termes problématiques

L’OMS inter­dit expli­ci­te­ment l’utilisation de :

  • Noms géo­gra­phiques : syn­drome res­pi­ra­toire du Moyen-Orient, grippe espagnole.
  • Noms de per­sonnes, d’a­ni­maux ou de métiers : mala­die de Chagas, grippe porcine.
  • Références cultu­relles ou alimentaires.
  • Termes alar­mistes : mor­tel, épi­dé­mie inconnue.

 

Ces res­tric­tions découlent de cas his­to­riques : la grippe por­cine (2009) a entraî­né l’abattage mas­sif de porcs, tan­dis que le MERS-CoV a stig­ma­ti­sé une région.

Privilégier des descriptions neutres et techniques

Les noms doivent inclure :

  • Les symp­tômes géné­riques : syn­drome res­pi­ra­toire aigu, diar­rhée sévère.
  • Les carac­té­ris­tiques épi­dé­mio­lo­giques : tranche d’âge (juvé­nile), sai­son­na­li­té (hiver­nal), gra­vi­té (pro­gres­sive).
  • Le patho­gène, lorsqu’il est connu (Coronavirus, Salmonella).

 

Exemple : COVID-19 com­bine CO (coro­na), VI (virus), D (disease) et l’année de décou­verte (2019), évi­tant toute réfé­rence géographique.

Processus de validation et ajustements

L’OMS col­la­bore avec la Classification inter­na­tio­nale des mala­dies (CIM) pour vali­der les noms, en inté­grant des experts en san­té publique, viro­lo­gie et sciences sociales. Les ajus­te­ments rétro­ac­tifs sont pos­sibles, comme le rem­pla­ce­ment de mon­key­pox par mpox en 2022 pour réduire la stig­ma­ti­sa­tion liée aux primates.

Impact des réseaux sociaux et adaptations

Avec la vira­li­té des termes sur Internet, l’OMS insiste sur la néces­si­té d’un nom défi­ni­tif dès la pre­mière com­mu­ni­ca­tion scien­ti­fique. Les acro­nymes (SARS) sont encou­ra­gés pour leur neu­tra­li­té, bien qu’ils puissent par­fois sus­ci­ter des mal­en­ten­dus (exemple : SARS asso­cié à Hong Kong en 2003).

Les cri­tères de l’OMS reflètent un équi­libre déli­cat entre pré­ci­sion scien­ti­fique et res­pon­sa­bi­li­té sociale. Alors que les mala­dies émer­gentes se mul­ti­plient, ces règles évo­lue­ront pro­ba­ble­ment pour inté­grer de nou­veaux défis, comme l’influence des réseaux sociaux ou les demandes crois­santes de trans­pa­rence inclusive.

Qui nomme les maladies ?

L’OMS a éla­bo­ré ces bonnes pra­tiques pour nom­mer les nou­velles mala­dies infec­tieuses humaines en étroite col­la­bo­ra­tion avec l’Organisation mon­diale de la san­té ani­male (OIE) et l’Organisation des Nations unies pour l’a­li­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture (FAO), et en consul­ta­tion avec les experts qui dirigent la CIM.

Ces bonnes pra­tiques s’ap­pliquent aux nou­velles infec­tions, syn­dromes et mala­dies qui n’ont jamais été recon­nus ou signa­lés aupa­ra­vant chez l’homme, qui ont un impact poten­tiel sur la san­té publique et pour les­quels il n’existe pas de nom de mala­die d’u­sage cou­rant. Elles ne s’ap­pliquent pas aux noms de mala­dies déjà établis.

Les nou­velles bonnes pra­tiques ne rem­placent pas le sys­tème actuel de la CIM (Classification Internationale des Maladies ou International Classification of Diseases — CID en anglais), mais consti­tuent plu­tôt une solu­tion pro­vi­soire avant l’at­tri­bu­tion d’un nom de mala­die défi­ni­tif dans la CIM. Comme elles ne s’ap­pliquent qu’aux noms de mala­dies d’u­sage cou­rant, elles n’af­fectent pas non plus le tra­vail des orga­nismes inter­na­tio­naux fai­sant auto­ri­té en matière de taxo­no­mie scien­ti­fique et de nomen­cla­ture des micro-organismes.

Le nom défi­ni­tif de toute nou­velle mala­die humaine est attri­bué par la Classification inter­na­tio­nale des mala­dies (CIM), gérée par l’OMS. La CIM est uti­li­sée par les méde­cins, les infir­mières, les cher­cheurs, les ges­tion­naires de l’in­for­ma­tion sani­taire et les codeurs, les déci­deurs poli­tiques, les assu­reurs et les asso­cia­tions de patients du monde entier pour clas­ser les mala­dies et autres pro­blèmes de san­té et les enre­gis­trer de manière stan­dar­di­sée dans les dos­siers médi­caux et les cer­ti­fi­cats de décès. Cela per­met de sto­cker et d’ex­traire des infor­ma­tions diag­nos­tiques à des fins cli­niques, épi­dé­mio­lo­giques et de qua­li­té. Ces dos­siers sont éga­le­ment uti­li­sés par les États membres de l’OMS pour éta­blir des sta­tis­tiques natio­nales de mor­ta­li­té et de mor­bi­di­té. Enfin, la CIM est uti­li­sée par les pays pour prendre des déci­sions en matière de rem­bour­se­ment et d’al­lo­ca­tion des ressources.

Nommer une mala­die, c’est écrire un pan de son his­toire. Entre héri­tages encom­brants et impé­ra­tifs sani­taires, l’exercice demeure un défi pour les scien­ti­fiques et les ins­ti­tu­tions. Alors que l’OMS et la CIM har­mo­nisent les pra­tiques, l’enjeu réside dans la créa­tion de noms à la fois rigou­reux, inclu­sifs, non stig­ma­ti­sants et pérennes.

En tout état de cause, le nom­mage des mala­dies n’est en aucune façon du res­sort d’une agence de bran­ding, fut-elle spé­cia­li­sée dans la san­té !

Pour aller plus loin :

UNE QUESTION SUR LE NOMMAGE DANS LA SANTÉ ?