Le nommage des maladies, entre science, histoire, médecine et enjeux de société
Le nom d’une maladie n’est jamais anodin.
Derrière une appellation technique ou populaire se cachent des siècles d’histoire médicale, des enjeux de santé publique et des conséquences sociétales parfois lourdes. Alors que l’OMS encadre désormais ce processus, retour sur les mécanismes et les défis du nommage des maladies, un sujet au carrefour de la science, de la médecine, de la culture et de la communication santé.
L’héritage historique : des termes populaires au risque de confusions
Historiquement, les noms de maladies émergeaient de descriptions symptomatiques ou de lieux d’émergence. Par exemple, la rubéole (du latin rubellus, « rougeâtre ») doit son nom à ses éruptions cutanées, tandis que la rougeole (de l’anglais measles) a longtemps été confondue avec d’autres affections comme la scarlatine. Au XIXᵉ siècle, des termes comme fièvre allemande ou grippe espagnole ont marqué les esprits, associant des régions à des épidémies – une pratique désormais controversée.
Ces dénominations, souvent arbitraires, ont conduit à des confusions nosologiques. La rubéole elle-même fut successivement appelée Rötheln, roséole ou German measles avant d’être officiellement reconnue comme une entité clinique distincte en 1881. Cet héritage illustre la complexité de nommer des pathologies en évolution.
Un impact sociétal fort, entre stigmatisation et perception erronées de la maladie
Le choix d’un nom influence la perception publique. Une étude de l’Université Vanderbilt (2023) révèle que des termes techniques comme COVID-19 – bien que neutres – peuvent susciter de l’incompréhension, contrairement à syndrome respiratoire aigu grave (SARS), plus explicite. À l’inverse, des appellations alarmistes (peste, fatal) exacerbent les peurs irrationnelles.
Depuis 2015, l’OMS recommande d’éviter les références géographiques, culturelles ou animales (ex : grippe porcine) pour éviter la stigmatisation et les retombées économiques négatives. L’exemple du MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome) montre comment un nom géographique a alimenté des tensions régionales et freiné le tourisme. De même, le virus Sin Nombre, initialement surnommé Navajo Flu, a provoqué un rejet des communautés amérindiennes concernées.
Les conséquences sont tangibles :
- Stigmatisation des communautés : hausse de 149 % des crimes anti-asiatiques durant la COVID-19.
- Pertes économiques : abattage massif de volailles lors de la grippe aviaire.
- Entraves à la coopération internationale, comme lors de l’épidémie d’Ebola, nommée d’après une rivière congolaise.
“Ces dernières années, plusieurs nouvelles maladies infectieuses humaines sont apparues. L’utilisation de noms tels que “grippe porcine” et “syndrome respiratoire du Moyen-Orient” a eu des effets négatifs involontaires en stigmatisant certaines communautés ou certains secteurs économiques”, déclare le Dr Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’OMS chargé de la sécurité sanitaire. “Cette question peut sembler anodine pour certains, mais les noms des maladies ont vraiment de l’importance pour les personnes directement touchées. Nous avons vu certains noms de maladies provoquer une réaction brutale à l’encontre de membres de certaines communautés religieuses ou ethniques, créer des obstacles injustifiés aux voyages, au commerce et aux échanges, et déclencher l’abattage inutile d’animaux destinés à l’alimentation. Cela peut avoir de graves conséquences sur la vie et les moyens de subsistance des gens”.
Les maladies reçoivent souvent des noms communs de la part de personnes extérieures à la communauté scientifique. Une fois que les noms de maladies sont devenus d’usage courant grâce à l’internet et aux médias sociaux, il est difficile de les changer, même si le nom utilisé n’est pas approprié. C’est pourquoi il est important que la première personne à faire état d’une maladie humaine nouvellement identifiée utilise un nom approprié, scientifiquement valable et socialement acceptable.
Critères de l’OMS pour nommer une maladie : entre neutralité et précision
L’OMS appelle aujourd’hui les scientifiques, les autorités nationales et les médias à suivre les meilleures pratiques pour nommer les nouvelles maladies infectieuses humaines afin de minimiser les effets négatifs inutiles sur les nations, les économies et les populations.
La nomination d’une maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) répond à des règles strictes, établies en 2015 pour éviter stigmatisation, confusion ou retombées économiques négatives. Ces directives visent à concilier rigueur scientifique et sensibilité sociétale.
Éviter les termes problématiques
L’OMS interdit explicitement l’utilisation de :
- Noms géographiques : syndrome respiratoire du Moyen-Orient, grippe espagnole.
- Noms de personnes, d’animaux ou de métiers : maladie de Chagas, grippe porcine.
- Références culturelles ou alimentaires.
- Termes alarmistes : mortel, épidémie inconnue.
Ces restrictions découlent de cas historiques : la grippe porcine (2009) a entraîné l’abattage massif de porcs, tandis que le MERS-CoV a stigmatisé une région.
Privilégier des descriptions neutres et techniques
Les noms doivent inclure :
- Les symptômes génériques : syndrome respiratoire aigu, diarrhée sévère.
- Les caractéristiques épidémiologiques : tranche d’âge (juvénile), saisonnalité (hivernal), gravité (progressive).
- Le pathogène, lorsqu’il est connu (Coronavirus, Salmonella).
Exemple : COVID-19 combine CO (corona), VI (virus), D (disease) et l’année de découverte (2019), évitant toute référence géographique.
Processus de validation et ajustements
L’OMS collabore avec la Classification internationale des maladies (CIM) pour valider les noms, en intégrant des experts en santé publique, virologie et sciences sociales. Les ajustements rétroactifs sont possibles, comme le remplacement de monkeypox par mpox en 2022 pour réduire la stigmatisation liée aux primates.
Impact des réseaux sociaux et adaptations
Avec la viralité des termes sur Internet, l’OMS insiste sur la nécessité d’un nom définitif dès la première communication scientifique. Les acronymes (SARS) sont encouragés pour leur neutralité, bien qu’ils puissent parfois susciter des malentendus (exemple : SARS associé à Hong Kong en 2003).
Les critères de l’OMS reflètent un équilibre délicat entre précision scientifique et responsabilité sociale. Alors que les maladies émergentes se multiplient, ces règles évolueront probablement pour intégrer de nouveaux défis, comme l’influence des réseaux sociaux ou les demandes croissantes de transparence inclusive.
Qui nomme les maladies ?
L’OMS a élaboré ces bonnes pratiques pour nommer les nouvelles maladies infectieuses humaines en étroite collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et en consultation avec les experts qui dirigent la CIM.
Ces bonnes pratiques s’appliquent aux nouvelles infections, syndromes et maladies qui n’ont jamais été reconnus ou signalés auparavant chez l’homme, qui ont un impact potentiel sur la santé publique et pour lesquels il n’existe pas de nom de maladie d’usage courant. Elles ne s’appliquent pas aux noms de maladies déjà établis.
Les nouvelles bonnes pratiques ne remplacent pas le système actuel de la CIM (Classification Internationale des Maladies ou International Classification of Diseases — CID en anglais), mais constituent plutôt une solution provisoire avant l’attribution d’un nom de maladie définitif dans la CIM. Comme elles ne s’appliquent qu’aux noms de maladies d’usage courant, elles n’affectent pas non plus le travail des organismes internationaux faisant autorité en matière de taxonomie scientifique et de nomenclature des micro-organismes.
Le nom définitif de toute nouvelle maladie humaine est attribué par la Classification internationale des maladies (CIM), gérée par l’OMS. La CIM est utilisée par les médecins, les infirmières, les chercheurs, les gestionnaires de l’information sanitaire et les codeurs, les décideurs politiques, les assureurs et les associations de patients du monde entier pour classer les maladies et autres problèmes de santé et les enregistrer de manière standardisée dans les dossiers médicaux et les certificats de décès. Cela permet de stocker et d’extraire des informations diagnostiques à des fins cliniques, épidémiologiques et de qualité. Ces dossiers sont également utilisés par les États membres de l’OMS pour établir des statistiques nationales de mortalité et de morbidité. Enfin, la CIM est utilisée par les pays pour prendre des décisions en matière de remboursement et d’allocation des ressources.
Nommer une maladie, c’est écrire un pan de son histoire. Entre héritages encombrants et impératifs sanitaires, l’exercice demeure un défi pour les scientifiques et les institutions. Alors que l’OMS et la CIM harmonisent les pratiques, l’enjeu réside dans la création de noms à la fois rigoureux, inclusifs, non stigmatisants et pérennes.
En tout état de cause, le nommage des maladies n’est en aucune façon du ressort d’une agence de branding, fut-elle spécialisée dans la santé !
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